caractères. Pour connaître les primitifs de notre littérature, il faut bien se pénétrer du texte et se livrer à de minutieuses recherches. Ils nous apparaissent dans toute la santé de leur être avec des phrases sans apprêts. Nous pouvons sans trop d’efforts reconstituer leur personnalité. C’étaient des esprits pauvres, mais non pas des pauvres d’esprit. S’ils étaient à peine vêtus, de toutes les façons, c’est que l’argent leur manquait. Le papier monnaie qui avait perdu sa valeur leur avait ôté tout moyen d’acquérir le savoir qui n’était pas dans ce temps le privilège des gueux. Ces déracinés qui ne savaient pas où ils coucheraient le soir souvent, étaient forcés d’implorer la charité publique. Oh ! combien touchant ce sans-culottisme qui arborait la véritable couleur locale !
Qu’y a-t-il de plus intéressant que de retrouver dans cette matière, fluide en quelque sorte que dégage l’âme des mots, l’image des paysages disparus, les portraits d’hommes dont la figure n’aurait que des lignes vagues, imprécises ?
Pauvres Canadiens errants déjà !…
Souvent, ils arrêtaient leurs regards mélancoliques sur le fleuve où s’accumulaient les formes du passé. Ils voyaient défiler les ombres des ancêtres, démons tentateurs qui les appelaient aux aventures glorieuses, à la curée des richesses, à la découverte de nouveaux mondes, alors que les cloches grêles de leur église luttaient avec leurs rêves d’ambition, les rappelaient à la vie de la paix, à l’honnête labeur, au devoir dont ils avaient appris le sens. Pour tromper la tristesse qui leur étreignait le cœur, ils composaient de ces chansons dont le rythme leur montait aux lèvres. Ils appelaient leur amoureuse « ma douce Julie » ou « mon aimable Dorante »…
Certains peuples disparaissent sans laisser de trace, c’est l’arbre demeuré stérile, l’homme qui meurt sans postérité : tel n’est pas notre cas. Les productions littéraires de l’aurore du dix-neuvième siècle montrent que les Canadiens n’étaient pas tout entiers à leurs occupations pastorales et agricoles. Nous voyons au contraire une nation qui se forme et prend conscien-