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Sort des Indigènes

La psychologie du sauvage nous était inconnue avant que le baron La Hontan visitât notre pays, à la fin du dix-septième siècle. On a contesté l’autorité de l’explorateur français, qui a mêlé de la fantaisie à l’histoire, comme on met des fleurs dans des plates-bandes de gazon anglais, pour en atténuer la monotonie, mais c’est un témoin aussi amusé qu’amusant, dont on ne saurait récuser les avancés. Citons cette page d’un chapitre sur la religion des sauvages qui corrobore ce que les relations des Jésuites nous disent de la finesse des Indigènes. — Peut-être les fait-il plus philosophes qu’ils n’étaient en réalité ? Peut-être aussi se sert-il un peu d’eux pour dire ce que dans le temps, il était plus prudent de taire :

« J’oubliais de vous avertir que les sauvages écoutent tout ce que les Jésuites leur prêchent sans les contredire ; ils se contentent de se railler entre eux des sermons que ces bons Pères leur font à l’église. Et s’il arrive qu’un sauvage parle à cœur ouvert à un Français, il faut qu’il soit bien persuadé de sa discrétion et de son amitié. Je me suis trouvé cinquante fois avec eux très embarrassé à répondre à leurs objections impertinentes, car ils n’en sauraient faire d’autres, par rapport à la religion. Je me suis toujours tiré d’affaire en les engageant à prêter l’oreille aux paroles des Jésuites…

« Ils croyaient que Dieu, pour des raisons impénétrables, se sert de la souffrance de quelques honnêtes gens pour manifester sa justice. Nous ne saurions les contredire en cela, puisque c’est un des points du Système de notre Religion, mais lorsqu’ils concluent que nous faisons passer la divinité pour un être fantastique, n’ont-ils pas le plus grand tort du monde ? La première cause doit être aussi la plus sage pour le choix des moyens qui conduisent à une fin. S’il est donc vrai, comme c’est un principe incontestable de notre Culte, que Dieu permet la souffrance des innocents, c’est à nous d’adorer sa Sagesse et non pas de nous ingérer de la contredire. L’un de ces Sauvages, raisonnant grossièrement, me disait que nous nous faisons une idée de Dieu comme d’un homme qui n’ayant qu’un petit trajet de mer à passer, prendrait un détour de