le fumier, mais dont le calice recèle un parfum subtil. Les écrits des Canadiens-français du temps ne seront peut-être pas des pages d’anthologie, mais elles gardent pour le patriote, comme pour l’historien, une valeur documentaire très précieuse. Bibaud en critique la facture dans un style qui est aujourd’hui de la cendre, que l’on tisonne vainement pour y trouver un peu de feu. C’était le Victor Barbeau du temps, hypnotisé par la stature herculéenne de l’anglo-saxon et dédaigneux des productions du terroir. Rien de bon n’est sorti de Nazareth, disent-ils, avec ce sourire désagrégeant des Juifs, qui branlaient la tête, quand on leur parlait des merveilles du Sermon de la Montagne. Ces pages, doublement oubliées, devraient être relues pour l’éducation de la jeune génération que l’exemple des politiciens financiers a quelque peu pervertie. L’allure en est virile et indépendante. Le style garde vis-à-vis des maîtres une noble liberté d’opinion et de langage. Les hommes de cette pléiade révolutionnaire sont les véritables “makers of Canada”.
Le jour où notre nation aura une vie qui lui sera propre — alors qu’elle secouera de son tronc les parasites qui sucent le meilleur de sa sève — elle voudra rendre un posthume hommage à ces vaillants soldats de la plume. On viendra vénérer comme des reliques la substance de ces caractères grossiers qui renferment la pensée, l’âme, l’héroïsme des surhommes, dont les piédestaux attendent leurs statues.
Il y a quelque chose de plus émouvant qu’une belle phrase, c’est le rythme large de l’émotion qui fait battre les cœurs. Quand vous lisez leur prose dure, rocailleuse, vous avez l’impression d’être ravi non pas au troisième ciel, mais dans un monde inculte, où chaque trait de plume semble un coup de pioche, où chaque mot tombe comme un quartier de roche qui se détache d’un mont.
Elle évoque, ainsi que le penseur de Rodin, l’effort titanesque des épaules puissantes pour se dégager de la lourde matière qui les écrase. Pouvaient-ils écrire autrement qu’ils parlaient ? Rien de déclamatoire et d’emphatique en leur style. Ils sont frustres, mais d’une simplicité touchante. Nous éprou-