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Papineau

ne récitaient pas leur credo à tout propos et hors de propos. Ils ne lançaient pas l’anathème à ceux qui ne partageaient pas leurs croyances. Il n’y a pas de situation plus pénible au monde que celle d’un homme dont le développement intellectuel et moral est cause de sa séparation avec ceux de sa caste ou de son groupe, par exemple d’un conservateur gagné aux idées libérales, d’un catholique devenu protestant ou libre-penseur. Il ne peut plus partager les idées des siens. Il vit aussi isolé parmi ses frères que s’il habitait le Sahara. Cette situation ne semble pas avoir été celle de Papineau. Il n’y a aucun désaccord apparent entre lui et ses coreligionnaires. Je crois même qu’au plus ardent de ses luttes politiques, il n’avait pas encore brisé avec l’Église. Dans aucun de ses discours je n’ai vu d’attaque contre le dogme ou même la discipline ecclésiastique. Les évêques — privément du moins — le considéraient comme leur champion. Il n’était pas homme à mettre une sourdine à ses sentiments, si à cette époque il eut été détaché de ses croyances, ses nouvelles idées auraient transpiré. L’hypocrisie n’était pas encore passée dans nos mœurs politiques. On ne faisait pas flèche du bois de la croix pour atteindre au but de ses ambitions.

On a dit que Papineau avait été conquis par les philosophes du dix-huitième siècle. Certainement il a subi surtout l’influence de Danton et de Robespierre. La proclamation des « Droits de l’homme » lui donna l’idée de ses 92 résolutions empreintes de l’esprit démocratique du temps. Il est certain que si le clergé ne l’avait d’abord lâché, il n’aurait pas consommé le divorce avec une Église qu’il avait défendue en maintes circonstances et dont les intérêts étaient confondus avec ceux de la patrie. La rupture définitive eut lieu après l’échec de la Révolution. Il faut savoir le cas que l’on faisait alors de la foi jurée, de la parole donnée, pour comprendre la violence du geste de Papineau. Il n’a jamais pu pardonner cette volte-face de ses alliés d’hier. Après avoir béni ses armes, les conjurés se retiraient sur la montagne pour prier, alors que les autres se faisaient massacrer dans la plaine !… Il avait encore sur le cœur les lettres émou-