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L’Institut Canadien

Quand on veut tuer une œuvre on trouve toujours une raison. L’Institut canadien fut accusé par l’épiscopat de propager des doctrines subversives et de faire circuler des mauvais livres dans la ville. M. Dessaulles admit la présence possible dans la bibliothèque d’ouvrages interdits par la Sacré Congrégation de l’Index, bien qu’il ne semblât pas croire à l’existence des mauvais livres. Sa conception du bien et du mal n’était pas celle de tout le monde. Pour lui, comme pour Remy de Gourmont, un mauvais livre était un livre mal écrit. Il semblait d’avis qu’il y avait plutôt des mauvais lecteurs que des ouvrages pervers en eux-mêmes, opinion contestable peut-être, mais qui prouve l’excellente nature du président de l’Institut. Il était de ceux qui tireraient du miel du suc des fleurs vénéneuses. De chaque volume, disait-il, une âme bien née pouvait tirer une bonne pensée ou une morale. Mais il eut beau dire, la bibliothèque de l’Institut fut prise à partie par l’évêque, qui voyait là un danger pour la foi de ses ouailles. On semblait alors sous l’impression qu’une population instruite est plus difficile à gouverner qu’un peuple d’ignorants. Cela se peut, mais quand le désir de savoir est éveillé chez les masses, il est imprudent de ne pas le satisfaire. Quand un torrent est déchaîné, il vaut mieux lui creuser un lit que de lui opposer des digues qu’il brisera, emportant tout sur son passage, si l’on tente de lui résister. Mgr Bourget se serait voilé la face de ses deux mains s’il avait pu apercevoir, rangés dans les rayons de la bibliothèque de Saint-Sulpice, les mêmes livres qu’il avait anathématisés et dont la condamnation lui avait valu ce procès en Angleterre, cause de tant de trouble et de tant de scandale. Il apprit, dès lors, que l’intelligence humaine est comme l’air, sa force d’expansion croit en raison de la compression qu’on lui fait subir. Vous pouvez la refouler, essayer de l’écraser, la triturer, pour la pétrir de nouveau, mais elle vous échappe des mains comme une balle de caoutchouc, pour rebondir au-dessus de votre tête. Le temps d’établir des bibliothèques était venu puisqu’on le demandait à grands cris. Il fallait s’exécuter, se résigner à ce qu’on ne pouvait empêcher, pour ne