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Papineau

glissé de ses mains et son corps glorieux avait presque la transparence des corps ressuscités. Il avait vaincu la mort comme l’Anglais. On l’entourait d’une vénération profonde et ses paroles étaient recueillies et conservées dans l’âme de ses fidèles amis. Même, quand le grand homme fut disparu, on sentait planer son invisible présence dans la grande salle. Les échos vivants de sa voix morte traînaient épars dans l’air, comme les dernières sonorités des orgues dans le temple redevenu de pierre, après l’exaltation de ses grandes fêtes.

Pour comprendre la filiation des idées de Papineau, il ne suffit pas de remonter dans le passé pour prendre contact avec ses ascendants, il faut connaître aussi sa postérité intellectuelle, sinon aussi nombreuse que les grains de sable de la mer, au moins aussi brillante que les étoiles du ciel. Tout le passé et l’avenir de notre race sont dans cet homme extraordinaire. Le grain sonore de sa parole qu’il jeta aux quatre coins du Bas-Canada contenait des germes latents de vie qui ne sont pas tous éclos. Ils attendent un rayon de soleil favorable, un sol mieux préparé, débarrassé des souches des vieux préjugés, pour percer l’obscurité de leur prison. Le bec des oiseaux n’a pas de prise sur cette aérienne semence ; l’ivraie et les mauvaises herbes ne sauraient l’étouffer. Si elle ne peut soulever la pierre qui l’écrase, elle se fraiera un chemin à travers ses crevasses pour affirmer l’immortalité du verbe libérateur.

L’Institut canadien fut notre château de Rambouillet moins les précieuses ridicules. Cependant, les soirs de gala, de belles épaules mettaient leur tache claire dans la foule des habits noirs. Les réunions dès lors y gagnaient en belles manières, car les bourgeois de 1830 portaient beaux. Depuis que le général Murray vanta le grand air et la politesse de l’élite canadienne, notre société n’avait rien perdu de son lustre d’autrefois. Les étrangers s’en émerveillaient, surtout s’ils avaient passé par les États-Unis, la terre du sans-gêne, du sans-façon. Leur urbanité, leur savoir-vivre, leur distinction naturelle attestaient leur belle origine. C’est dans ce milieu que le langage, la diction, les manières, les gestes s’affinèrent. C’est