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La littérature de l’époque

nombre et qui auraient découragé de moins décidés à se survivre. Il fallait bombarder le gouvernement de pamphlets, de livres tendancieux, mettre à ses trousses une presse agressive, les crocs en avant pour faire croire à ces êtres de proie qui nous tenaient dans leurs serres que nous étions une force intelligente capable d’avoir raison de la force brutale. Cette tactique réussit. Plus qu’une levée de boucliers, cette levée de plumes effraya les Anglais. On n’écrase pas un peuple qui, le temps de le dire, lance en fait de projectiles des satires, des diatribes, à cent mille exemplaires des quatre coins du pays à la fois.

Cet esprit primesautier de nos écrivains, ce fut notre Durandal. Nos journalistes guerriers avaient des arsenaux de facéties, de calembours, de scies, de saynettes divertissantes. Ils conviaient le public à voir mystifier les tyrans. C’était un rebondissement de saillies spirituelles, un ricochet de bons mots, un chassé-croisé d’éclats de rire qui faisait rager l’Anglais. Leur procédé habituel était d’accabler leurs adversaires de louanges extravagantes, de leur lancer à la figure des bordées de flatteries hyperboliques, de leur prêter des propos où ils étalaient la bonne opinion qu’ils avaient d’eux-mêmes. Ils illustraient ainsi leur outrecuidance et faisaient faire la roue à leur sottes prétentions. Ces farces provoquaient le fou rire chez les conjurés et les mystificateurs, mais passaient par-dessus la tête des Anglais. Les vieux fusils de 37 parfois ratèrent leurs coups, mais cette gaîté, un signe de race en même temps qu’une arme de combat, ne manqua pas ses effets…

Comment s’expliquer ensuite cet arrêt subit de notre littérature quand elle semblait au commencement du siècle pleine de promesses et débordante de sève ? Ne faut-il pas compter parmi les méfaits de la confédération cet état de langueur et de prostration qui a succédé à une époque si brillante en œuvres de toutes sortes ? Il semble que l’anticipation d’une fin prématurée leur ait fait perdre jusqu’à la volonté de réagir ; notre littérature a été atteinte aux sources mêmes de son inspiration. Ils n’entendaient que la fatidique clameur, qui prédisait l’anéantissement de la patrie canadienne, retentir à leurs oreilles.