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La littérature de l’époque

« Donnez à mes couplets le titre que le sentiment le plus vif envers vos concitoyens vous fera adopter : Enthousiasme des Canadiens — Générosité Canadienne — Salut aux Canadiens — Gloire, honneur aux Canadiens — Tous ces titres leur conviennent, mais si vous en trouvez un plus convenable, plus expressif, plus flatteur, plus digne en un mot des hommes vraiment hommes que j’ose estimer moi-même, placez-le à la tête de ces couplets ; c’est souvent le titre qui fait le prix de l’ouvrage. J’aurais voulu peindre plus énergiquement le dernier rassemblement des Canadiens : il est au-dessus de tout éloge. Eussé-je pu m’y trouver, je l’aurais mieux peint. »

M. L. G. Barthe, journaliste, auteur de mémoires intéressants, fut un des thuriféraires de Papineau. Les Anglais, tout rosses qu’ils fussent, n’enfourchaient pas Pégase, mais prenaient ombrage de la production littéraire des Canadiens-français. Ils firent arrêter l’écrivain pour avoir composé une ode en faveur du chef révolutionnaire. Il eut tout le temps pendant qu’il languissait sur la paille humide de la « ouache », comme on appelait alors la prison, de mesurer les alexandrins et de compter sur ses doigts les pieds de ses vers, car on tardait à lui faire un procès. On ne savait trop comment s’y prendre. La loi n’avait pas prévu ce délit. Le lyrisme n’était passible ni de prison ni d’amende. On ne pouvait pas, tout tyran qu’on fût, pendre un homme par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive parce qu’il a commis une chanson en dix couplets. Il n’y avait aucun précédent dans ce cas exceptionnel. Le mettre au pilori pour cette offense, personne n’a encore craché sur les poètes. On les laisse crever de faim ou tirer le diable par la queue mais on n’insulte pas à leur malheur. Aussi il advint que Barthe se trouva sur la chaussée sans savoir comment cela s’était fait. Des portes roulèrent mystérieusement sur leurs gonds. Des mains invisibles le prirent par les épaules et le poussèrent en dehors de la geôle. Il était arrivé escorté par la garde et il s’en retournait sans tambour ni trompette. Voici le poème incriminable :