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la terre ancestrale

milieu des siens. Il éprouvait alors une grande tristesse ; mais avant de se raisonner, de se convaincre que l’ancienne vie était meilleure, plus douce, plus facile que la présente, l’orgueil chassait ses bonnes pensées, annihilait son jugement sans lui permettre de comparer. La fierté légitime, la ténacité, l’énergie, qui avaient conduit son père dans le bien, n’étaient chez lui que fol orgueil, opiniâtreté à suivre sa mauvaise voie. Plutôt la dernière misère, plutôt mourir à la tâche, que de revenir sur sa décision, que de s’humilier, demander pardon, avouer ses torts. Puis quand, fourni de monnaie, il était grisé par l’alcool et la grasse jovialité de ses amis, il lui semblait vivre la vraie belle vie, et trouvait l’ancienne mesquine et insipide. Dans son esprit, il ne voyait alors sa paroisse natale, la maison de son père, qu’à travers une lentille grise. Dans ces moments surtout, il jurait que les siens ne le reprendraient jamais. De plus en plus égoïste, son plaisir seul comptait ; le bonheur des autres ; « Eh bien, tant pis, c’est de leur faute, qu’ils fassent comme moi ». Dans les premiers temps, il songeait, avec un peu de pitié, au grand délaissement des siens, maintenant, il n’y voulait plus penser. Les saines joies d’antan, la vie libre sur la terre, le patrimoine des aïeux avec sa maison blanche, tout s’effaçait peu à peu dans l’oubli.