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la terre ancestrale

que Fanne a toujours donné des poulains hors du commun.

C’était Jean Rioux qui s’adressait ainsi à son fils, en montant de la grève sa dernière charge de foin salé.

Ce solide vieillard à la voix tonnante, était un peu loquace, mais rude au travail, dur pour lui-même et bon pour les autres. Têtu comme un Normand et autoritaire comme un roi, il fallait devant lui, ou casser ou plier. On le surnommait « Bouche d’Or », car il n’avait jamais manqué à sa parole. Intelligent, plus instruit que le commun des cultivateurs, il possédait aussi un fond de poésie rustique, dont il ne se rendait pas compte, et qui lui faisait admirer la nature. Il n’avait jamais quitté le sol ouvert à la culture par ses ancêtres depuis plus de deux siècles. La terre était sa grande charmeuse, sa maîtresse, sa passion ; pour elle, il ressentait presque autant d’amour que pour ses enfants. C’est qu’aussi elle était digne d’affection, à cause de sa fécondité toujours entretenue par les bons soins, et de sa magnifique situation au bout du village de Trois-Pistoles. Elle surplombait le fleuve Saint-Laurent, ce majestueux cours d’eau, si large, qu’on dirait un océan et que là-bas on appelle : « la mer ». Du sommet de son coteau, un des plus splendides panoramas du pays se déroulait devant les regards charmés : Vers l’ouest, un cap revêtu d’épinettes centenaires. À sa base, sur les rochers, tout près de l’eau,