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la terre ancestrale

toute couverte de grands arbres, bêchait, ici, là, pour étudier le sol. Il le vit se construire, pour la nuit, une hutte de branches ; ensuite abattre des pins, s’en bâtir une maison ; bientôt libérer un espace, emblaver, récolter le premier blé. L’autre Rioux, comme une vapeur, surgissait de la glaise, augmentait l’éclaircie, et tout en cultivant, portait le fusil en bandoulière. Il vit la place s’agrandissant toujours ; des ancêtres montaient de la noue pour s’ajouter aux autres. L’un d’eux, une balafre à la figure, survenait, prenait la cognée ; il venait de guerroyer sous Frontenac pour défendre son bien, et continuait à l’élargir. Un géant, blond de visage, semait son grain en surveillant le fleuve ; il devait apprendre au gouverneur l’apparition des bâtiments anglais. Un autre avait fait la guerre de Sept-Ans. La face brûlée de poudre, il continuait la bataille en conservant sa langue et sa foi, en accroissant l’héritage de sa famille. De chaque motte de terre, comme un gaz follet, surgissait un aïeul ; la plaine s’en couvrait. Tous robustes et fiers dans leur carrure de géants, ils embrassaient le sol qui leur donnait la vie. Pas un n’avait trahi ; ils se comptaient. Regardant vers la côte, le regard inquiet, ils ne comprenaient pas, semblaient se demander ; « De quel sang est-il donc, celui-là ? » Tout à coup, comme une ombre qui se cache, parmi tous les vieux, se glissa le dernier mort ; il inclinait