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la terre ancestrale

— Puisqu’il faut avoir une fin, il est préférable de partir par l’amour du bien que de disparaître par la passion du mal. Tu vois l’homme de mer : il sait qu’un jour, comme la plupart des siens, il sera enseveli sous les vagues ; et, à ce qu’on dit, il faut voir comme il l’aime sa marâtre. Il y a des mamans, mon petit, qui sont mortes pour leur fils ou à cause d’eux, et la mort était moins dure. Moi je trouve qu’un homme qui, en partant pour l’autre monde lègue sa belle terre aux siens, n’est pas tout à fait mort. Souvent, ton pauvre père me disait qu’il se figurait toujours voir, ici et là, dans les champs, son père, son grand-père et tous les vieux, jusqu’au premier. « On dirait me confiait-il, qu’ils sortent du cimetière pour venir me voir travailler leurs clos. » S’il aimait tant son héritage, je crois que c’est à cause d’eux, à cause de ses descendants à lui ; il avait cette passion dans le sang.

Penses-tu que l’ouvrier des fabriques voit ainsi ses ancêtres ? Non, car ils sont bien morts ; ils sont oubliés comme s’ils n’avaient jamais vécu.

— A-t-il parlé de moi, maman, m’a-t-il… ?

— La maladie a été courte, mais il a souvent demandé si tu allais venir.

— Sans cette idée de papa, mon départ pour la ville n’aurait pas été un événement.