Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le maître cuisinier armé de sa spatule en bois a la gravité d’un prêtre antique cherchant quelque ténébreux secrets d’occultisme. De petits globules transparents flottent dans l’air, on dirait les génies du bois qui rigolent en l’honneur du dieu printemps. Le liquide d’or, gonfle dans la grande chaudière et s’épaissit en bouillant pour finir par se cristalliser. Un chant de triomphe s’élève dans l’air, vibrant comme une fanfare. Tous s’approchent irradiés par l’extase, l’eau du désir mouille les lèvres et la bouche s’ouvre toute grande pour savourer cette manne céleste, le sucre du pays, bonbon divin, plus doux qu’un rayon de miel, plus exquis que toutes les crèmes et les pâtes humaines.

Ô Patrie, mère bonne et généreuse, je t’aime. Mais d’où vient cette tristesse persistante qui assombrit ton front d’un crêpe de deuil ?

Le cœur maternel, hélas ! se souvient toujours ! L’enfant qui dort sous le marbre des cimetières tient à l’âme de la mère par des fibres mystérieuses. Ô Patrie, tu pleures toujours les martyrs de 37 ! Les fils de ton amour, orgueil et honneur de tes cheveux blancs. Mais ils vivent ces vaillants, ces héros. Le temps n’a pas effacé leur mémoire chérie, chaque aube nouvelle redore leurs noms sur le mausolée de la gloire, et c’est pour eux que Victor Hugo a chanté

Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie,
Ont droit qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau.
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère ;
Et comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau.

Tu pleures, mère, en regardant ces pâles enfants des héros qui renient leur langue et lèchent les pieds des