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berçant qui endort les souffrances, ce sourire du ciel qui repose notre œil, terni par le souffle mauvais des vulgarités terrestres, cette voix douce d’espérance et d’amour ?… Oh ! ce fleuve, comme il est intimement mêlé à notre vie et à nos souvenirs. Il reflète nos premiers bonheurs et nos dernières joies. Le mourant s’en va content, si par sa fenêtre entr’ouverte, il voit se dérouler le ruban d’argent du Saint-Laurent marchant avec lui vers l’éternité. Le prisonnier accroché aux barreaux de son cachot, suit de longues heures durant ce flot qui plus heureux que lui vagabonde à travers la campagne ; une salutaire rêverie éveille son âme endormie ; les larmes du repentir jaillissent des yeux de l’infortuné. Dieu a perdu l’habitude de parler par ses prophètes, il se fait entendre au cœur de l’homme par la voix toute-puissante de la nature. Le pauvre fou lui-même semble comprendre le langage du bel innocent qui gazouille, chante et pleure sans cause, comme lui-même.

C’est bien joli la Longue-Pointe, malgré le crêpe de deuil que jettent sur elle les souffrances venues se réfugier dans ses riants parages… À l’horizon brumeux, la ville halète en soufflant de gros panaches de fumée où se mêlent, dans une ravissante confusion de bouquets d’arbres, les hautes cheminées des usines, les flèches des églises, les toitures irrégulières des maisons, les fines mâtures des vaisseaux, l’oscillation des bateaux qui laissent le port. Et plus loin, s’écartant fièrement du groupement compacte des constructions humaines, la montagne, en sa majestueuse splendeur, baignée dans une lueur rose, illumée comme un autel d’où le soleil, rayonnant ostensoir, jette son éternelle bénédiction.

Que dit à ces pauvres êtres privés de raison, cette radieuse fin du jour ? Peut être se figurent-ils habiter le globe de feux se balançant dans l’espace. Le boulet de leurs