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de l’eau comme de grosses fleurs. Dans le vague des horizons de petits monts floconneux se détachent sur l’azur plus foncé. C’est un riant paysage doux à l’œil et à la pensée. L’enchanteresse a dit vrai, c’est bien l’oasis où le voyageur brûlé par l’ardeur des sables du désert aspire à se reposer !

Tout à coup, un joyeux carillon jette dans l’air ses ding din don retentissants. C’est dimanche, l’heure de la grand’messe. Dans un tourbillon de poussière, les voitures reluisantes arrivent de tous côtés débordantes de robes claires, de chapeaux fleuris et d’éclats de rire. Les paysans endimanchés occupent toute la largeur des trottoirs et se rendent en procession au sanctuaire. Mais ils s’arrêtent sur le perron de l’église pour causer en attendant le dernier coup du tinton. Les vieillards bossues, les jambes torses, tout de travers à force de se hâter, se fraient un chemin dans la cohue grossissante qui caquette, potine, piaille comme une ruche de guêpes. Dans un groupe de jupes blanches ballonnées par l’empois, une jeune fille, figure éveillée, tignasse blonde, est l’orateur de l’assemblée.

— Puisque je vous le dis que la grande Philomène Duteau s’est encore promenée seule avec son amoureux malgré la défense de M. le Curé. Pas rien que ça, samedi soir.

On n’entend plus qu’un chuchotement, suivi d’un gros éclat de rire.

— Mais c’est impossible !… clament en chœur les jeunes filles.

— Si, puisque je te dis que je l’ai vue… Mais chut !… V’la Philomène.

Une svelte jeune fille, au fin profil de madone, traverse la foule, son livre d’heures sous le bras, les yeux modestement baissés sans paraître se douter qu’on se pousse du coude et qu’on s’étouffe de rire sur son passage.