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bleu — blanc — rouge

habit d’étoffe du pays. Gravement il enfonce une spatule dans la tire bouillante.

— Faut laisser frédir. Attention ! — Dessinant un simulacre de bénédiction. — Je te bénis, je te consacre, je te fourre dans mon sac !… Ce disant, il fond sur tous ces minois anxieux, la bouche ouverte, dans l’attente de la tire. Agile comme un singe, il barbouille de sucre, qui la bouche, qui le museau, qui la chevelure. Dans ses larges bras, Jacques tient quatre ou cinq robustes villageoises qu’il équipe de la belle façon. Il poursuit les fuyardes dans le bois. Et ce sont des cris, un sauve qui peut à chasser pour jamais les oiseaux de la forêt. Quelques-unes sanglotent rageusement de ne pouvoir se défendre, et le fumiste reçoit par-ci par-là quelques coups de griffe. Cela pourrait le faire réfléchir que l’appui des femmes en temps de guerre n’est pas à dédaigner.

— Assez rire maintenant, commande le robuste paysan, qu’on mette la table. Moi, je fais l’omelette. Et tandis que les filles, les manches retroussées, sortent les victuailles des paniers, le pain brun, le beurre, les pains de savoie, on trempe le thé, dont l’arôme se mêle à l’odeur appétissante des grillades de lard, des patates cuites dans la cendre rouge.

— Aie ! regardez l’omelette ! fait le cuisinier. Un bel astre d’or tournoie dans l’espace et vient retomber dans l’orbite noire que lui tend d’un bras sûr le paysan émerveillé.

— Hourrah ! Jacques, c’est bien tapé ça, Marichette ne tourne pas mieux l’omelette !…

Et c’est une ruée vers la table, chacun veut avoir sa blonde près de soi. Les retardataires jouent des coudes pour se faire une trouée ! Les petites demoiselles de la ville les regardent de leurs grands yeux scandalisés — Si ça du bon sens de se vautrer ainsi dans les assiettes, de