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bleu — blanc — rouge

voyageait en Europe. Souvent je suivais la rue bordée d’arbres — chère sans doute au grand chasseur devant l’Éternel, son patron, par le ramage d’oiseaux qu’on y entend continuellement — avec l’espérance d’apercevoir ma petite amie, qui me souriait maintenant avec un air de connaissance. Son petit front moite collé sur la vitre nimbée de vapeur, elle semblait plus amincie, blonde, jolie encore comme une miniature angélique……

Hier, je descendais, selon mon habitude, rue Saint-Hubert, une banderole blanche accrochée à la lourde porte de la grande maison de pierre claqua dans l’air. Je m’arrêtai surprise, émue comme si l’haleine d’une vision d’outre-tombe m’eut touché le front.

Mon cœur se serra. Morte ! morte ma petite amie !… D’instinct je levai les yeux comme pour la chercher dans l’espace.

Pareille à ce gracieux chiffon, la petite poitrinaire maintenant planait dans l’éther.

La porte était entr’ouverte, je pénétrai dans la maison. J’eus peine à reconnaître la petite, grandie qu’elle parut, entourée de fleurs, avec l’air d’une mariée. Les lèvres pincées semblaient retenir le rire qui montait en spirale, de son cou délicat à ses lèvres encore roses, tandis que la tête, auréolée d’une vapeur blonde, reposait sur l’oreiller dans l’abandon d’un suprême repos et d’une heureuse quiétude.

Pourquoi ce sourire de béatitude qui distend parfois les traits de pierre des cadavres ? Est-ce que le bonheur de l’âme pourrait encore rayonner sur la chair pétrifiée du corps ? On dit parfois, en se penchant sur un cadavre : Comme il a l’air heureux ! Chaque mort a sa physionomie, avec une expression soit de terreur, de calme, d’ennui, de chagrin, de majesté, de gravité. Cela ne serait-il pas le reflet d’un état d’âme plutôt que le hasard de la con-