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bleu — blanc — rouge

de jours comme l’ombre qui descend des coteaux dépouillés, sans pouvoir, comme Josué, fixer, ne fut-ce que pour une année, l’aiguille d’or au cadran du temps. Voir s’user fil par fil la trame du vêtement humain que la nature nous prête pour jouer notre rôle sur la scène du monde. Ensevelir dans le tombeau ses rêves irréalisés d’ambition et de bonheur. Mourir avec ce cri désespéré de Jonathas :

Mes lèvres ont à peine effleuré le rayon de miel…… et je meurs !……

Disparaître à l’horizon, dans la mélancolie des crépuscules, avec dans l’âme, un rayon du soleil d’avril !

Le mal terrible semble plus cruel quand il s’acharne à de petits enfants, innocentes victimes qui souffrent sans comprendre le sens divin de l’humaine douleur. Jamais je n’oublierai la pâle fillette que je vis aux prises avec le monstre qui eut raison de ses résistances et l’emporta, roulée dans un linceul, au séjour des ombres.

Pauvre petite, c’est dans la rayonnante gaîté d’un matin de juin tout poudré d’or qu’elle m’apparut pour la première fois, frêle, blonde et blanche. Son petit corps, pas plus qu’un lis ne projetait d’ombre. Assise sur une grosse roche, elle tapotait dans l’eau avec un bâton qui semblait bien lourd à son faible bras. Plus loin, une femme, jeune encore, vêtue de noir, svelte et élégante, surveillait les jeux de l’enfant avec une tendresse inquiète ; un pli douloureux marquait le coin de ses lèvres et son front portait l’ombre d’un chagrin intense.

Soudain l’enfant s’arrêta, haletante ; elle eut un cri désespéré.

— Maman !