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elle refuse de céder à cette moëlleuse friction, l’émeri d’une bonne brique le tire d’embarras. À la lueur rouge de la flamme, ces petites figures barbouillées, ces têtes bouclées d’enfants de la rue, où brillent des yeux ardents, se détachent sur le fond sombre — on dirait un tableau de Rembrandt.

Puis, la clarté diminue, seule une grosse mouche à feu luit, augmente, diminue, scintille, telle une planète, tandis que les têtes, dont on ne distingue plus les traits, ondulent comme un flot noir, haletant d’émotion !…

— C’est-y bon ? — Donne que je tire une touche ? — Non, c’est à mon tour —

— Mais, le fumeur, avec un air entendu : Pour de l’imitation de tabac, c’est pas vilain, seulement un peu fade. Demain, nous aurons autre chose, je vous le promets.

Le lendemain, ils rentrent à la maison, blêmes, les yeux jaunes, le cœur tourné. C’est égal, plus la méchante pipe leur aura coûté de haut le cœur, plus ils l’aimeront ! Ce que la souffrance burine dans l’être humain s’y fixe comme avec des pointes de diamant.

Je comprends l’antipathie féminine contre la pipe. La femme est jalouse de cette rivale, qui s’installe au foyer comme un tiers importun. La favorite finit par faire du maître un esclave des dangereuses hallucinations, des troublantes visions créées par les vapeurs de la nicotine…

Quand le temps ronge les derniers quartiers, de la lune de miel, l’épouse délaissée ne voit pas, sans rager, son antagoniste circonvenir plus étroitement sa faible proie. L’homme, à son tour, devient la conquête de la fatale pipe. Comme il est bien sa chose ! Sa tendresse