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Le plus minuscule insecte de la vaste fourmilière humaine est un artisan du grand œuvre de la création, le Maître l’aime et le protège. Si parfois ses foudres déracinent le chêne altier, elles ménagent toujours la faiblesse du roseau.

Telle n’est pas la tendre prévoyance de Dame Taxe qui toujours tombe à bras raccourcis sur les déshérités du sort. L’aveugle brutale ne s’est-elle pas avisée de prélever un impôt de deux piastres par an, sur les maigres revenus des petits cireurs de bottes, histoire d’amener le Pactole rouler son flot jaune sur la pelouse de l’Hôtel-de-Ville. Parbleu ! ces gamins doivent fournir leur quote part pour l’embellissement des quartiers luxueux, le balayage des rues, l’agrandissement des boulevards, etc. Il en faut des sous, pour fêtailler le petit fils de Victoria Ire, embraser le jardin Lafontaine, et faire luncher le royal visiteur sur la montagne !

Mais le spectacle de l’enfance travailleuse ne vous dit rien au cœur, puisqu’au lieu de lui tendre une main secourable, vous l’écrasez en l’opprimant ? Pauvres petits, lancés sur le pavé à l’âge où les enfants des riches sont gâtés, bichonnés, gavés de friandises par leurs parents !

Faibles oiselets, arrachés du nid, avant que d’avoir essayé leurs ailes !

À peine sortis des langes, ces bambins sont aux prises avec le dragon struggle for life, bien plus méchant que l’ogre ou la vache caille à p’tit Poucet…

Le soir, ils rentrent au taudis fourbus, éreintés, noirs comme des nègres, les bras morts, la tête en feu. Ont-ils toujours, comme récompense de leur travail, un baiser de la mère, et un conte de grand’maman, pour bercer leur sommeil endolori ?