Page:César - Au moulin de la mort, 1892.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 136 —

des collines, couronné de sapins aux dessous d’un noir sombre, était baigné de roses clartés. La neige, gelée déjà, criait sous les pieds. N’eût été la voix grondante du Doubs, on n’aurait perçu aucun bruit aux alentours. Les côtes étaient désertes ; pas un seul être humain aussi loin que portait le regard. Comme une immobilité de non-vie planait sur les choses, rien ne remuait, pas le plus léger souffle de vent : c’était la mort apparente, sous un froid d’acier, et Maurice, qui marchait, silencieux, derrière son ami, comparait en lui-même le paysage qu’il avait sous les yeux à celui qu’il avait vu lors de son premier voyage. Elargissant la comparaison, il se disait que l’existence, comme la nature, avait aussi ses jours d’hiver et ses jours d’été et que les premiers, pour plusieurs, étaient de beaucoup les plus nombreux. Lui n’en était-il pas un exemple frappant ? Tous les siens étaient morts, il errait seul à travers le monde, sans foyer ni famille, par les frimas d’abord, quand sa mère l’avait quitté, emportant avec elle l’affection qui avait réchauffé sa jeunesse d’adolescent ; maintenant, les neiges s’étaient fondues à la chaleur bienfaisante d’un puissant amour. Comme là-bas,