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vivre sa vérité 1912–1914

eeiLa redingote noire, les lunettes d’or, le front rouge de vacher-mathématicien, les honnêtes souliers à bouts ronds, à épaisse semelle, de l’honnête Leutenegger, Bâlois solide, descendant de Bernoulli, qui vient parler à la société des techniciens de Baden, et en termes clairs, sans aucune pose, sans aucune prétention, avec la clarté du Monsieur-qui-sert-l’Éternel-et-ne-pêche-pas-en-eau-trouble, et ne pêche pas pour lui-même (faiblesse fréquente du Welsche). Il explique gentiment, comme à l’école primaire — c’est-à-dire comme il faut quand on veut être compris —, les notions fondamentales du calcul des probabilités. Honnête homme parlant à d’honnêtes hommes : des gens qui travaillent, qui gagnent leur pain. (Entendez-vous, pauvre Madame, qui êtes affairée par les thés et le Lyceum, et les réceptions d’artistes qui n’en peuvent mais ?)

Comme il est solide et vrai, ce Leutenegger, et bien posé, à côté de ce tableau où il y a tous les coups possibles à faire avec deux dés ; comme c’est clair, sain, équilibré. Bon vieux pays, Helvétie ; ces gens-là sont honnêtes, ne tueraient personne, ne mangeraient personne.

Rien qu’à voir les bouts ronds de ces souliers, et les pantalons en étoffe noire, solide, un peu trop courts, un peu raides, comme montés sur des tiges de bottes, et ces grosses semelles, on sent la tradition, l’éternel, la justesse, la justice. Cette redingote noire mise par cette soirée étouffante pour faire honneur et respect à son auditoire ! Mon vieux confédéré Leutenegger, je te regarde, je regarde ça comme de la galerie, comme du balcon. Je ne suis plus de cette fête où l’on respecte les habits prescrits ; mais, du balcon où je suis, je ne puis pas assez dire ce que j’aime cette solidité, cette honnêteté, cet ordre, cette tenue, et quel beau prêche c’est que cet homme solide et paisible qui parle devant son tableau noir, avec l’allemand vigoureux, pas fignolé, des Suisses qui parlent le haut allemand, avec son parapluie de paysan ou de mathéma-