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ne dépasse guère vingt à vingt-cinq mètres. Les « Mallahs » ont le droit d’établir ce barrage pour attraper leurs poissons, à condition d’ouvrir un passage chaque fois qu’un bateau se présente. La nuit, ils s’acquittent de cette obligation de très mauvaise grâce. Un vieux pêcheur veut nous envoyer promener — c’est le cas de le dire — et faire un long détour qui, dit-il, permet de passer sans franchir son barrage. De la hutte dans laquelle il est blotti, il ajoute que d’ailleurs il est paralysé et que les autres pêcheurs sont loin. Pour éviter de la peine à ce pauvre paralytique, nos hommes démolissent eux-mêmes le bord du barrage et le bateau passe… Ailleurs il faut que P. fasse intervenir sa bonne voix sévère pour que les pêcheurs récalcitrants se décident à retirer leurs piquets de bambous et leurs rideaux d’igreeze, — espèce de roseau, dont ils font les flancs des huttes ! — Il fait très humide et assez frais. Chose curieuse, les grillons chantent à tue-tête dans ces rizières submergées, comme ils le font chez nous dans les prairies par une chaude nuit d’été. De ces traînées blanchâtres de brume, on pourrait à la rigueur voir sortir des fantômes… ; comme nous sommes dans un marais, je pense à des feux follets tout en me disant que si par hasard ils existaient, une telle humidité froide ne manquerait pas de les éteindre. Je demande à P. s’ils ont aussi aux Indes la légende des feux follets : « Oui, on les appelle : Shiroun ». C’est un joli nom qui va bien à des feux follets. Nos deux « Mallahs » affirment immédiatement qu’en faisant paître leurs buffalos, ils en ont vu. Le cuisinier lui, naturellement, n’a rien vu. Étrange que ces histoires se présentent partout sous la même forme et qu’on ne puisse pas savoir exactement, ici pas plus qu’ailleurs, ce qu’il y a de vrai et de scientifique là dedans. Ce soir-là, personne ne voit de Shiroun, mais bientôt apparaît sur ces vagues eaux — qui