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des têtes écrasées, aplaties, biscornues. Étrange et inquiétant quand on se demande à quoi exactement ces horreurs correspondent dans l’âme de gens qui paraissent si supérieurs. Cette exposition de monstres à prier et invoquer se trouve à une petite distance du gentleman si fin Jagadhis, propriétaire de la ferme modèle que j’ai décrite.

Nous avons fini notre visite de tous les villages de cette région plus rapidement que nous ne pensions. Mardi soir, deux Mallahs (pêcheurs) de Sonathi arrivaient par voie d’eau à Dharmapur avec le bateau particulier du Comité de secours du Bihar que P. avait fait venir, pensant que nous repartirions mercredi matin, mais nous nous sommes embarqués déjà mardi soir vers 7 h. 15 et nous avons fait pendant deux heures et demie, au clair de lune, l’étrange traversée des eaux dormantes du Bhagmati, de ses bras multiples, étangs, marais, se faufilant à travers les rizières dans un terrain tout plat, qui en juillet, au sommet de l’inondation, ne formait qu’un vaste océan sur lequel on voyait au loin émerger les digues de la citerne de Sonathi et les huttes du camp. Une brume assez épaisse couvrait l’eau et la terre sans voiler sensiblement la lune et les étoiles. Nous voyagions comme en plein ciel avec la mince bande noire des rizières s’avançant, des deux côtés, comme une bande de nuages entre le ciel vrai et le ciel reflété. Tout est blanchâtre ; le bateau glisse entraîné par le courant — très faible en général — et poussé à la gaffe par les deux Mallahs à tour de rôle. Silence, solitude, sauf les oiseaux aquatiques nombreux et assez agités qui à tout moment s’envolent ou se font entendre dans l’ombre à côté du bateau. De temps à autre, le bateau est arrêté par des barrages. Il y en a trois ou quatre sur notre trajet, construits par les pêcheurs avec des bambous et des roseaux sur toute la largeur du fleuve qui