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Je n’arrive pas du tout à savoir quel rôle l’élément religieux joue vraiment dans leur vie, c’est à peu près aussi difficile à savoir que chez nous. Les gens de Sonathi n’ont apparemment ni prêtre ni sanctuaire au village, probablement quelques petits dieux dans les racines d’un arbre ou cachés quelque part. Dans un autre village qu’on traverse en allant de Sonathi à Muzzafarpur, on trouve au contraire, bien en vue, tout près de la route et tout près l’une de l’autre, deux horribles huttes en boue toutes décrépites, dignes demeures d’idoles en terre cuite plus horribles : difformes, grimaçantes, aux jambes raides, écartées, faites — on dirait volontairement, sciemment — aussi repoussantes et grotesques que possible ; les têtes ont des faces ou des masques tellement baroques et arbitraires qu’elles vous ennuient autant que les gribouillages d’un enfant peu doué pour le dessin. Et tout cela semble n’avoir aucun rapport quelconque avec ce que ces gens ont constamment dans leur personne de bon, de gracieux, harmonieux et intelligent. Au lieu de symboliser dans leurs dieux ce qu’ils sentent de plus haut, de plus beau et de plus grand, on dirait qu’ils en ont fait au contraire les symboles de tout ce qu’il y a d’absurde, de difforme, de cruel, d’incompréhensible et d’hallucinant dans la vie de chien que la destinée leur a faite. On y voit la trace semble-t-il, de la peste, du choléra, de la famine, des exactions du maître, des descentes de police — aux siècles des siècles — des impôts, des intérêts à payer au kahbouli qui prête à 14 % par mois. Et le potier qui fait ces monstres a l’impression de ne jamais les avoir fait assez grotesques. À Chaprat avant d’arriver chez le « Mohant », on passe sous un grand arbre sacré au tronc peinturluré, abritant la plus ridicule et hideuse collection de cavaliers en terres jaunes, avec des torses dix fois plus longs que les jambes,