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d’un cerveau en démence, je puis être encore le plus heureux des hommes. Je te presserai dans mes bras, et nous serons encore… (L’apparition s’évanouit). Mon cœur est écrasé !

Manfred tombe sans mouvement. — On entend une voix qui chante ce qui suit :

À l’heure où la lune brille sur les vagues, le ver-luisant dans le gazon, le météore sur les tombeaux, le feu follet sur les marécages ; à l’heure ou les étoiles filent, ou l’écho répète la voix du hibou, où les feuilles se taisent dans l’ombre silencieuse de la colline, alors mon âme planera sur la tienne avec un pouvoir et avec un signe.

Au sein du plus profond sommeil, ton esprit ne dormira pas ; il y a des ombres qui ne s’évanouiront pas ; il y a des pensées que tu ne peux bannir ; en vertu d’un pouvoir que tu ignores, tu ne peux jamais être seul ; tu es enveloppé comme dans un linceul, tu es emprisonné dans un nuage, et tu seras à jamais enfermé dans l’esprit de cette incantation.

Quoique tu ne me voies point passer a tes côtés, tes yeux me reconnaîtront pour un objet qui, bien qu’invisible, a été et doit être encore près de toi ; et lorsque, agité par cette terreur secrète, tu tourneras la tête, tu t’étonneras de ne pas me voir, comme ton ombre, sur tes pas ; et ce pouvoir qui se fera sentir à toi, tu seras condamné à dissimuler sa présence.

Un rhythme et des accents magiques t’ont baptisé d’une malédiction, et un génie de l’air t’a enlacé dans un piége ; il y a dans le vent une voix qui te défendra de te réjouir, et la nuit te refusera le repos de son firmament ; le jour aura un soleil qui te fera désirer sa fin.

De tes larmes mensongères j’ai distillé une essence qui a le pouvoir de tuer ; j’ai tiré de ton cœur un sang noir puisé à sa plus noire source ; j’ai dérobé le serpent qui était sur ton sourire, où il roulait ses anneaux comme dans un buisson ; j’ai pris sur tes lèvres le charme qui donnait à toutes ces choses leurs effets les plus malfaisants ; après avoir fait l’essai de tous les poisons, j’ai trouvé que le plus énergique était le tien.

Par ton cœur froid et ton sourire de serpent, par l’abîme sans fond de ta fourberie, par tes yeux si remplis d’un sem-