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MANFRED, ACTE I, SCÈNE I.

La voix du second génie. Le Mont-Blanc est le roi des montagnes ; elles l’ont couronné il y a longtemps ; il a un trône de rochers, un manteau de nuages, un diadème de neiges. Il a les forêts pour ceinture, et sa main tient une avalanche ; mais avant de tomber, cette boule tonnante doit attendre mon commandement. La masse froide et mobile du glacier s’avance chaque jour ; mais c’est moi qui lui permets de passer outre, ou qui l’arrête avec ses glaçons. Je suis le génie de ces lieux : je puis faire trembler la montagne, et l’agiter jusque dans sa base caverneuse ; — et toi, que me veux-tu ?

La voix du troisième génie. Dans les profondeurs azurées des flots, où la vague est tranquille, où le vent est inconnu, où vit le serpent des mers, où la sirène orne de coquilles sa verte chevelure, comme l’orage sur la surface des eaux a retenti ton évocation ; dans mon paisible palais de corail, l’écho me l’a apportée : — au génie de l’Océan fais connaître tes désirs !

Quatrième génie. Aux lieux où le tremblement, de terre endormi repose sur un oreiller de feu, où bouillonnent des lacs de bitume, où les racines des Andes s’enfoncent aussi profondément dans la terre que leurs sommets s’élèvent haut vers le ciel, ta voix est venue jusqu’à moi, et pour obéir à tes ordres j’ai quitté le lieu de ma naissance. — Ton charme m’a subjugué, que ta volonté me guide !

Cinquième génie. Je vole sur les ailes des vents ; c’est moi qui allume l’orage ; l’ouragan que je viens de quitter est encore brûlant des feux de la foudre ; pour venir plus vite vers toi, m’élevant au-dessus de la terre et des mers, j’ai voyagé sur l’aquilon ; la flotte que j’ai rencontrée voguait d’un cours propice, et pourtant elle sombrera avant que la nuit soit écoulée.

Sixième génie. Ma demeure est dans l’ombre de la nuit : pourquoi ta magie m’inflige-t-elle le supplice de la lumière ?

Septième génie. L’étoile qui règle ta destinée a été réglée par moi avant la naissance de la terre : jamais astre plus frais et plus beau n’accomplit dans l’air sa révolution autour du soleil ; sa marche était libre et régulière ; l’espace ne comptait pas dans son sein d’étoile plus charmante. Une heure survint, — et elle ne fut plus qu’une masse errante