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l’aurions été, Caïn, ne devrions-nous pas les aimer, ainsi que nos enfants ?

CAÏN. Mon petit Énoch, et sa sœur, qui bégaie encore ! Si je pouvais les voir heureux, j’oublierais presque... — Mais trois mille générations ne le feront pas oublier ! Jamais les hommes ne chériront la mémoire de l’homme qui jeta la semence du mal en même temps que celle du genre humain ! Ils ont cueilli le fruit de la science et le péché, — et, non contents de leur propre malheur, ils nous ont engendrés, moitoi, — le petit nombre de ceux qui maintenant existent, et toute cette innombrable multitude, ces millions, ces myriades qui peuvent naître, pour hériter des douleurs accumulées par les siècles ! — Et je dois être le père de tels êtres ! Ta beauté et ton amour, — mon amour et ma joie, l’ivresse d’un moment et le calme qui la suit, tout ce que nous aimons dans nos enfants et dans nous-mêmes, eh bien ! tout cela ne servira qu’à leur faire traverser, ainsi qu’à nous, une longue suite d’années de péchés et de douleurs, ou une courte vie d’afflictions entremêlées de rapides instants de plaisir, pour nous conduire tous à ce but inconnu : — la mort !... Il me semble que l’arbre de la science n’a pas rempli sa promesse : — si nos parents ont péché, du moins ils auraient dû connaître toute science — et le mystère de la mort. Que savent-ils ? — Qu’ils sont misérables. Il n’était pas besoin de serpent et de fruits pour nous apprendre cela.

ADAH. Je ne suis pas malheureuse, Caïn ; et si tu étais heureux...

CAÏN. Sois donc heureuse seule... — Je ne veux point d’un bonheur qui m’humilie, moi et les miens.

ADAH. Seule, je ne voudrais ni ne pourrais être heureuse ; mais au milieu de ceux qui nous entourent, il me semble que je pourrais l’être, en dépit de la Mort, que je ne crains pas, ne la connaissant pas, mais qui doit être un fantôme terrible, si j’en juge par ce que j’en ai entendu dire.

LUCIFER. Et tu ne pourrais, dis-tu, être heureuse seule ?

ADAH. Seule ! O mon Dieu ! qui pourrait, seul, être heureux