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ADAH. O mon Dieu ! quoi ! ils ne s’aimeront pas, et leur tendresse ne donnera pas le jour à des êtres destinés à s’aimer comme eux ? Mon sein ne les a-t-il pas allaités tous deux ? Leur père n’est-il pas né des mêmes flancs à la même heure que moi ? Ne nous sommes-nous pas aimés, et en multipliant notre être n’avons-nous pas multiplié des êtres qui s’aimeront l’un l’autre comme nous les aimons, — et comme je t’aime, Caïn ? Ne va pas avec cet esprit ; il n’est pas des nôtres.

LUCIFER. Le péché dont je vous parle n’est pas mon ouvrage, et ne saurait être un péché en vous, quoi qu’il puisse être en ceux qui vous remplaceront dans votre condition mortelle.

ADAH. Quel est ce péché qui n’est pas un péché en lui-même ? Le crime et la vertu peuvent-ils dépendre des circonstances ? — S’il en est ainsi, nous sommes les esclaves de...

LUCIFER. Des êtres plus grands que vous sont esclaves, et de plus grands qu’eux et vous le seraient pareillement, s’ils ne préféraient l’indépendance au milieu des tortures aux lâches tourments de l’adulation qui s’adresse par des hymnes, le son des harpes et des prières commandées, à celui qui est tout-puissant, uniquement parce qu’il est tout-puissant, non par amour pour lui, mais dans des vues d’égoïsme et de crainte.

ADAH. La toute-puissance doit être la suprême bonté.

LUCIFER. En a-t-il été ainsi dans Éden ?

ADAH. Démon, ne me tente pas avec ta beauté ! Tu es plus beau que n’était le serpent, et aussi trompeur que lui.

LUCIFER. Aussi sincère. Demande à Ève, votre mère : ne possède-t-elle pas la science du bien et du mal ?

ADAH. O ma mère ! tu as cueilli un fruit plus fatal à ta postérité qu’à toi-même ! Toi, du moins, tu as passé ta jeunesse dans le paradis, dans un commerce fortuné et innocent avec les esprits bienheureux ; mais nous, tes enfants, qui n’avons point connu Éden, nous sommes entourés de démons qui imitent la parole de Dieu, et se servent, pour nous tenter, de nos pensées de mécontentement et de curiosité, —