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m’oppresse : jusqu’à présent je n’avais rencontré personne qui sympathisât avec moi. Tant mieux. — Je préfère la société des esprits.

LUCIFER. Et si la nature de ton âme ne t’avait rendu digne d’une telle société, tu ne me verrais pas maintenant devant toi, comme tu me vois : comme autrefois, il eût suffi d’un serpent pour te fasciner.

CAÏN. Ah ! c’est donc toi qui as tenté ma mère ?

LUCIFER. Je ne tente personne, si ce n’est avec la vérité : l’arbre n’était-il pas celui de la science ? et n’y avait-il pas encore des fruits sur l’arbre de vie ? Est-ce moi qui lui ai dit de ne pas les cueillir ? Est-ce moi qui ai placé des objets défendus à la portée d’êtres innocents et curieux en raison de leur innocence même ? J’aurais fait de vous des dieux ; et celui qui vous a chassés l’a fait « dans la crainte que vous ne mangiez des fruits de vie, et ne deveniez dieux comme lui. » Sont-ce là ses paroles ?

CAÏN. C’est ainsi que me les ont répétées ceux qui les ont entendues au bruit de la foudre.

LUCIFER. Qui donc était le démon ? celui qui n’a pas voulu vous laisser vivre, ou celui qui vous aurait fait vivre à jamais au sein des joies et du pouvoir de la science ?

CAÏN. Plût au ciel qu’ils eussent cueilli le fruit des deux arbres, ou n’eussent touché ni à l’un ni à l’autre !

LUCIFER. Déjà l’un est à vous, l’autre peut encore vous appartenir.

CAÏN. Comment ?

LUCIFER. En vous montrant ce que vous êtes dans votre résistance. Rien ne peut éteindre l’âme, si l’âme veut être elle-même, et se faire le centre de tout ce qui l’entoure. — Elle fut créée pour commander.

CAÏN. Mais as-tu tenté mes parents ?

LUCIFER. Moi ? chétive argile ! pourquoi et comment les aurais-je tentés ?

CAÏN. Ils disent que le serpent était un esprit.

LUCIFER. Qui le dit ? Cela n’est point écrit là-haut : l’orgueilleux Créateur ne saurait à ce point dénaturer la vérité.