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le dit, — ce que j’ignore, et ne crois pas, — s’il nous a faits, il ne peut nous défaire ; nous sommes immortels ! — Bien plus, il nous a voulus ainsi, afin de pouvoir nous torturer ; — qu’il le fasse ! Il est grand ; — mais dans sa grandeur, il n’est pas plus heureux que nous dans notre lutte ! La bonté n’eût pas créé le mal ; a-t-il fait autre chose ? Mais qu’il continue a siéger sur son trône vaste et solitaire, occupé à créer des mondes, pour alléger le poids de l’éternité à son immense existence, à sa solitude sans partage ; qu’il entasse planète sur planète. Il est seul dans sa tyrannie infinie, indissoluble ; que ne peut-il s’écraser lui-même ! ce serait le don le plus précieux qu’il eût jamais fait : mais qu’il règne, et se multiplie dans la souffrance ! Esprits et hommes, nous sympathisons du moins, — et, souffrant de concert, nous rendons plus supportables nos innombrables souffrances par la sympathie illimitée de tous avec tous ! Mais lui, si malheureux dans son élévation, livré à l’inquiète activité de sa misère, il faut qu’il crée, et crée encore.

CAÏN. Tu me parles de choses qui depuis longtemps nagent dans ma pensée comme des visions, je n’ai jamais pu concilier ce que je voyais avec ce que j’entendais. Mon père et ma mère me parlent de serpents, et de fruits, et d’arbres ; je vois les portes de ce qu’ils appellent leur paradis, gardées par des chérubins armés d’épées flamboyantes, qui en interdisent l’accès et à eux et à moi ; je sens le poids du travail journalier et de la pensée incessante ; autour de moi mes regards errent sur un monde où je semble n’être rien, et je sens s’élever en moi des pensées telles qu’on les croirait capables de dominer toutes choses ; — mais je croyais que ce malheur était mon partage exclusif. — Mon père s’est résigné à son abaissement ; ma mère a oublié l’audace qui lui donna soif de science, au risque d’une malédiction éternelle ; mon frère n’est qu’un jeune berger, offrant les prémices de son troupeau à celui qui a voulu que la terre n’accordât ses fruits qu’à nos sueurs ; ma sœur Zillah chante chaque jour un hymne plus matinal que celui des oiseaux ; et mon Adah, ma bien-aimée, elle aussi, ne comprend pas la pensée qui