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Pourquoi est-ce que je frémis ? Pourquoi le craindrais-je plus que ces autres esprits célestes que je vois chaque jour brandir leurs glaives redoutables devant les portes près desquelles je m’arrête souvent à l’heure du crépuscule, alors que je viens, avant que la nuit descende sur ces murs inhabités, jeter un coup d’œil sur ces jardins, mon légitime héritage, et sur les arbres immortels qui couronnent les créneaux défendus par les chérubins ? Je n’ai point peur de ces anges armés de feux. Pourquoi celui qui maintenant s’approche m’inspirerait-il de l’effroi ? Il me paraît de beaucoup leur supérieur en puissance et leur égal en beauté ; et pourtant on dirait qu’il n’est pas aussi beau qu’il l’a été ou qu’il pourrait l’être. La douleur semble faire la moitié de son immortalité. En est-il donc ainsi ? L’humanité n’est donc pas seule à connaître la souffrance ? Il vient.

LUCIFER arrive.

LUCIFER. Mortel !

CAÏN. Esprit, qui es-tu ?

LUCIFER. Le maître des esprits.

CAÏN. Cela étant, comment se fait-il que lu les quittes, et viens visiter la poussière ?

LUCIFER. Je connais les pensées de la poussière ; j’ai pitié d’elle et de loi.

CAÏN. Comment ! tu connais mes pensées ?

LUCIFER. Ce sont les pensées de tout ce qui est digne de penser ; c’est la partie immortelle de toi-même qui parle en toi.

CAÏN. Quelle partie immortelle ? Ceci n’a pas été révélé. Nous avons été privés de l’arbre de vie par la folie de mon père, tandis que, par la précipitation de ma mère, le fruit de l’arbre de la science fut trop tôt cueilli, et ce fruit, c’est la mort !

LUCIFER. On t’a trompé : tu vivras.

CAÏN. Je vis ; mais je vis pour mourir, et vivant, je ne vois rien qui rende la mort haïssable, si ce n’est une répugnance innée, un lâche mais invincible instinct de vie, que j’abhorre comme je me méprise, et que pourtant je ne puis