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sant parmi les êtres abjects dont se composent les masses. Je dédaignai de faire partie d’un troupeau, — même de loups, eussé-je dû en être le chef. Le lion est seul : ainsi suis-je.

L’abbé. Et pourquoi ne pas vivre et agir avec les autres hommes ?

Manf. Parce que ma nature était antipathique à la vie ; et pourtant je n’étais pas cruel : car j’aurais voulu trouver, mais non créer, un lieu de désolation. — Je ressemblais au simoun solitaire, à ce vent dont l’haleine dévore et brûle ; il n’habite que le désert, il ne souffle que sur des sables stériles où nul arbuste ne croît ; il se délecte sur leurs vagues sauvages et arides ; il ne cherche personne si personne ne le cherche, mais, à tout ce qu’il rencontre, son contact est mortel. Tel a été le coins de mon existence : il s’est trouve dans ma voie des objets qui ne sont plus.

L’abbé. Hélas ! je commence à craindre que tu n’aies aucune aide à attendre de moi et de ma profession. Si jeune encore ! Pourtant je désirerais…

Manf. Regarde-moi… Il est sur la terre une classe d’hommes qui deviennent vieux dans leur jeunesse, et meurent avant le midi de leur âge, mais non de la mort violente du guerrier ; il en est qui succombent aux plaisirs, d’autres à l’étude, et quelques-uns meurent d’un excès de travail, quelques autres d’ennui ; ceux-ci de maladie, ceux-là d’insanie, d’autres de brisements de cœur, car cette dernière maladie en tue plus que l’on n’en inscrit au livre du destin : elle revêt toutes les formes et prend bien des noms divers. Regarde-moi : j’ai éprouvé toutes ces choses, et une seule suffirait pour donner la mort. Ne t’étonne donc pas que je sois ce que je suis, mais bien plutôt que j’aie jamais été, ou qu’ayant été, je sois encore sur la terre.

L’abbé. Écoute-moi cependant.

Manf. Vieillard, je respecte ton ministère, je vénère tes cheveux blancs, je crois tes intentions pieuses ; mais tes efforts seraient impuissants. Ne m’accuse pas de manquer d’égards pour toi : c’est plutôt dans ton intérêt que dans le mien que j’évite un plus long entretien. — Ainsi donc, — adieu. (Manfred sort.)