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Manf. Non, mon ami ! je ne voudrais point d’un marché qui te serait funeste ; je ne voudrais échanger mon destin contre celui d’aucun être vivant. Ce que je puis supporter dans la vie, — et je le supporte, quoique misérablement, — d’autres ne pourraient l’endurer en rêve, ils en mourraient dans leur sommeil.

Le chass. Et avec cela, — avec cette sensibilité attentive pour les douleurs d’autrui, se peut-il que le crime ait souille ton âme ? Ne me le dis pas. Il n’est pas possible qu’un homme dont les pensées sont si bienveillantes ait immolé ses ennemis à sa vengeance.

Manf. Oh ! non, non, non ! mes offenses sont tombées sur ceux qui m’aimaient, sur ceux que j’aimais le plus : je n’ai jamais abattu un ennemi, si ce n’est pour ma défense légitime ; — mais mon embrassement a été fatal.

Le chass. Que le ciel te donne le calme ! que la pénitence te rende à toi-même ! je prierai pour toi.

Manf. Je n’en ai pas besoin, mais je ne puis endurer ta pitié ; je pars, — il est temps. — Adieu ! — Voilà de l’or, reçois aussi mes remerciements ; — point de refus, ce que je te donne t’est dû. — Ne me suis pas, — je connais mon chemin ; — les dangers de la montagne sont passés ; je te le répète, ne me suis pas.

SCÈNE II.

Une vallée des Alpes. — Une cataracte.
Arrive MANFRED.

Il n’est pas encore midi, — les rayons du soleil jettent sur le torrent un arc brillant de toutes les couleurs du ciel ; la colonne d’eau retombe en nappe d’argent le long du roc perpendiculaire, et balance ses gerbes d’écume lumineuse, comme la queue du cheval pâle, du coursier géant, monté par la mort, décrit par l’Apocalypse. Nul autre œil que le mien ne s’abreuve maintenant de cette vue enchanteresse ; je devrais être seul dans cette solitude, et partager avec le génie du lieu l’hommage de ces ondes. — Je vais l’appeler.