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ce ne fut plus qu’une tigresse et une lionne, qui ne répondit à mes caresses qu’à coups de griffes, et qui m’a mis en l’état où tu me vois. De sorte que, voyant qu’il n’y avoit rien à gagner que de la honte pour moi, je me retirai tout doucement. — Il faut avouer, dit alors le duc, qu’en amour aussi bien qu’en toute autre chose, il y a de fatales conjectures. Qu’une petite verrue qui n’est pas, peut-être, plus grosse que la tête d’une épingle, arrête et fasse échouer un dessein si bien concerté[1] ! Je ne m’étonne plus, après cela, si la remore[2], qui n’est qu’un petit poisson, arrête tout court les plus grands vaisseaux, puisque si peu de chose s’oppose au bonheur du plus grand monarque du monde. — Mais il y a cette différence, répondit le Roi, c’est que je portois avec moi cette maudite remore qui a rompu tous mes projets amoureux, et a repoussé tout-à-coup mon vaisseau, qui alloit entrer à pleines voiles dans le port[3]. —

  1. C’est la pensée de Pascal, sur le nez de Cléopâtre et le grain de sable de Cromwell.
  2. Remora. Furetière conteste déjà l’opinion de Pline et de tous les anciens qui, après lui, attribuaient au remora la force d’arrêter un vaisseau dans sa course : « mais les modernes tiennent que c’est une fable. »
  3. La 1re édition de ce petit roman, reproduite par M. Paul Lacroix, remplace le passage qui suit par un texte tout différent, que nous reproduisons ci-dessous :

    « — Je suis bien aise, répliqua le duc, que Votre Majesté soit en humeur de railler sur cette aventure, et si vous n’étiez pas mon roi, je dirois encore une plaisanterie qui m’est venue dans l’esprit sur le malheur qui vient de vous arriver.

    « Le Roi lui permit de dire tout ce qu’il voudroit, ne cherchant qu’à dissiper son chagrin. — Je ne puis penser à la fatalité de votre aventure, dit alors le duc, qu’il ne