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côté, mais il étoit en peine d’apprendre ce qui s’étoit passé à l’autre bout de la chambre. Aucune de ces femmes n’osoit regarder son mari, et encore moins celui qui venoit d’occuper sa place, et les maris n’osoient pas regarder leurs femmes, de peur de voir sur leur visage des marques trop certaines d’un affront irréparable. Il se passa une scène muette qui exprima plusieurs passions différentes. Enfin, il y en eut un plus impatient, qui, tirant brusquement sa femme par le bras, lui dit tout en colère : — « Pourquoi vous allâtes-vous coucher dans ce lit ? Ne saviez-vous pas que c’étoit celui-ci que j’avois arrêté pour nous deux ? — J’avois cru, dit-elle, que c’étoit l’autre, et je vous prie de ne pas me quereller pour une chose dont j’ai plus de chagrin que vous, et dont je ne me consolerai de ma vie. — Tant pis, » lui dit son mari, qui ne connut que trop, au langage de sa femme, ce qui s’étoit passé entr’elle et son voisin ; mais il n’étoit pas juste aussi que les rieurs ne fussent que d’un côté. La femme de celui qui n’avoit pas encore parlé, paroissant toute honteuse, donnoit assez à connoître qu’elle n’étoit pas plus nette que sa voisine. — « Enfin, dit ce mari, qui parut plus raisonnable, ce qui est fait est fait, et tous les hommes ne le sauroient empêcher. Nous sommes à deux de jeu ; nous avons fait, comme on dit, troc de gentilhomme[1] sans nous demander de retour ; laissons passer doucement

  1. On appelle « troc de gentilhomme » celui qui se fait but à but, troc pour troc, sans donner de l’argent de retour. (Furetière.)