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en possession d’un bien qui lui étoit plus cher alors que sa couronne, lorsque la comtesse, revenant comme d’un profond assoupissement, et voyant qu’elle ne pouvoit plus résister au Roi, fit semblant de consentir à tous ses désirs, et le pria seulement de changer de place, disant qu’elle étoit incommodée dans cette assiette.

Le Roi, qui voyoit qu’en procurant le plaisir de la comtesse, il ne feroit qu’augmenter le sien, consentit sans peine à tout ce qu’elle voulut. Ils changèrent d’abord de place, et la comtesse, prenant son temps, saisit l’épée du Roi, qu’elle tira du fourreau, et recula trois ou quatre pas en arrière. Le Roi qui crut qu’elle vouloit s’en servir contre lui, s’alla jeter à ses pieds, et lui dit : — « Madame, si vous demandez ma mort, me voici prêt à la recevoir de votre main. — Non, Sire, lui dit la comtesse, ce n’est pas votre mort que je demande ; ma main ne vous fera jamais aucun mal, vous n’êtes point coupable. Mais c’est moi, c’est moi que je veux punir de la foiblesse où je suis tombée par mon malheur. »

En disant cela, elle alloit tourner la pointe de l’épée contre son estomac, si le Roi ne l’eût empêchée. — « Qu’allez-vous faire, dit-il, trop vertueuse comtesse ? vous n’avez rien à vous reprocher ; eh ! pourquoi voulez-vous vous punir d’un crime que vous n’avez point commis ? — Il est vrai, dit-elle, mais c’est pour m’empêcher de le commettre. »

Le Roi touché du triste état où il la voyoit, promit de ne la presser plus ; et en effet elle