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il a fait des autres ; et quand cela ne seroit pas, pourrai-je me résoudre à vivre sans honneur dans le monde, abandonnée de mon mari, méprisée de tous les honnêtes gens, et travaillée d’un cruel remords qui me dévorera jour et nuit ? Je mourrai plutôt, ajoutoit-elle, avant que de tomber dans ce malheur. »

Le Roi qui ne pouvoit pas savoir ce qui se passoit dans son cœur, ne croyoit pas être si avant dans ses bonnes grâces ; il ne savoit pas que la vertu de la comtesse étoit le seul ennemi qu’il avoit à combattre ; il ne songeoit qu’à s’en faire aimer, quoique cela fût fait depuis longtemps ; mais la comtesse appliquoit tous ses soins à le lui cacher, et vivoit avec lui d’une manière extrêmement réservée. — « Ne me direz-vous jamais, Madame, lui dit un jour le Roi qui la pressoit plus qu’à l’ordinaire, de quelle manière je suis dans votre esprit ? Est-ce comme ami ou comme ennemi ? — On ne traite pas les ennemis de la manière qu’on vous traite, lui dit la comtesse d’un ton radouci. — Mais de quelle manière me traitez-vous ? lui dit le Roi ; puis-je être content de toutes ces marques extérieures de civilité qu’on rend à tout le monde ? Traitez-moi, je vous prie, avec moins de respect, et rendez-moi un peu de cette tendresse dont mon cœur est rempli pour vous. — Je vous rends, dit-elle, ce que je puis et ce que je dois, et je vous supplie de ne m’en demander pas davantage. — Votre pouvoir est bien petit à ce que je vois, lui dit cet amant ; mais c’est votre rigueur qui le veut borner ainsi, et vous vous faites un devoir à votre mode, et qui s’accommode assez avec votre indifférence. — Je voudrois que cela fût, lui répliqua la comtesse. — Eh ! qu’est-ce donc, lui dit le Roi, qui vous fait vivre avec moi d’une manière si réservée ? — C’est que vous êtes le plus redoutable de tous les hommes, lui dit alors la comtesse, témoin ce que vous fîtes l’autre jour. — Il paroît bien, Madame, répliqua le Roi, que je ne le suis pas beaucoup, et que vous l’êtes bien davantage, puisque je n’ose vous attaquer que