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de Bourgogne est si bien représenté, qu’il ne lui manque que la parole.

Le Roi. — C’est un bel art que la peinture ; mais qu’a fait la princesse de Lislebonne[1] du petit portrait qu’elle avoit, qui venoit de Mignard ? C’est à la vérité un chef-d’œuvre[2], où l’on voit Lucrèce qui se perce le cœur d’un poignard après avoir perdu sa virginité, que Sextus lui avoit enlevée en la violant.

La Princesse, en riant. — La pauvre fille étoit bien folle de se priver de la vie pour un mal où il n’y avoit point de remède ! Cette prude farouche n’a rien emporté de sa violence, que le péché de se défaire soi-même, lequel est criant devant Dieu. Ce n’étoit au plus qu’un fantôme d’honneur qui lui fit commettre ce crime.

Le Roi. — Il est vrai, Madame ; mais autrefois la vertu tenoit lieu de tout chez les Romains ; présentement les dames de ce pays sont plus apprivoisées, et l’on trouve rarement chez elles des Lucrèces dont la vertu fasse tant de bruit.

La Princesse. — Il en est de même parmi nous, Sire ; je ne crois pas que les femmes soient aujourd’hui moins sensibles à l’honneur, qu’elles l’ont été du temps que les Dieux venoient se promener sur la terre, et qu’ils avoient commerce avec elles.

  1. Voyez la table.
  2. « Revenu à Avignon, Mignard y trouva Molière… Pendant le temps que Mignard y passa encore avec son frère, il fit une Lucrèce pour un conseiller au Parlement de Grenoble. » (Vie de Mignard, pp. 56-57.) — C’est sans doute ce tableau qui passa aux mains de Mme de Lislebonne.