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moi ; mais il me parut si brillant, si magnifique et si fier, qu’à le voir seulement je devinai une partie de ses affaires. « Ah ! cher ami, me dit-il d’abord, il y a trois jours que je meurs d’impatience de vous voir ! » Et s’approchant de mon oreille : « Je ne sentois pas toute ma joie ni ma bonne fortune, poursuivit-il tout bas, ne vous ayant pas ici pour vous en confier le secret. »

« Mes gens s’étant retirés, le comte ferma la porte de ma chambre lui-même, et m’ayant prié de ne l’interrompre point, il me parla en cette sorte : « Bien que je ne vous aie pas nommé la personne que j’aime, vous pouvez bien connoître que ce ne peut être que Madame, de la manière dont je vous parle ; ainsi je crois que l’aveu que je vous fais ne vous surprend pas. Je sais que si je vous avois ouvert mes sentimens dans le commencement de ma passion, vous m’auriez dit mille choses pour m’en détourner ; mais elles auroient été inutiles autant que toutes celles que m’a dit ma raison, qui m’y a représenté des dangers effroyables pour ma fortune et pour ma vie, sans donner seulement la moindre atteinte à mes desseins. A n’en mentir pas, j’aimois déjà trop quand je me suis aperçu que je devois m’en défendre, et je n’ai voulu m’abstenir qu’alors que je me suis vu sans résistance ; j’ai senti que j’étois jaloux presque aussitôt que je me suis vu amant. Le Roi m’a donné des chagrins si terribles qu’il a mis vingt fois le désespoir dans mon âme ; il témoignoit tant d’empressement auprès de Madame que tout le monde croyoit qu’il l’aimoit et qu’elle en étoit persuadée elle-même ; cela a duré deux ou trois mois ; et assurément ils ont été pour