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au sort auprès de qui, de vous, de madame de Précy et de madame de l’Isle, chacun de nous s’attacheroit. Quoique ce que j’avois pour vous dans le cœur, Madame, fût encore bien foible, je n’aurois pas mis au hasard une chose de cette conséquence si je n’eusse été jusque là fort heureux ; mais enfin ma fortune changea pour ce coup, car vous échûtes à la Feuillade, et j’aurois bien plus gagné de perdre toute ma vie qu’en ce malheureux moment. Toute ma consolation fut, comme j’ai dit, que l’attachement que j’allois avoir pour madame de Précy, que j’avois autrefois aimée, m’arracheroit du cœur ce que j’y avois de commencé pour vous, mais inutilement, Madame. Vous jugez bien que, le commerce que l’intérêt de mon ami m’obligeoit d’avoir avec vous me donnant lieu de vous connoître plus particulièrement et de remarquer en vous des principes admirables pour l’amour, je ne pus me défaire d’une passion que votre beauté seulement avoit fait naître. Lorsque la Feuillade me pria de le servir, je sentis quelque chose au delà de la joie qu’on a d’ordinaire de servir son ami, et je m’aperçus bientôt après que, sans le vouloir tromper, j’étois ravi de me mêler de ses affaires, pour avoir seulement le plaisir de vous voir de plus près. Il pouvoit à la fin me donner d’effroyables peines. Cela, Madame, m’a obligé de vous voir moins souvent, et, quoique vous n’y ayez pas pris garde, depuis le départ de la Feuillade, il y a déjà plus de quinze jours que j’ai retranché de mes visites. Ce n’est pas, Madame, que vous n’ayez pu remarquer jusqu’ici que j’ai servi mon ami comme je me fusse servi