Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/362

Cette page n’a pas encore été corrigée

quelque sujet de vous plaindre ? —Non, Madame, lui répliquai-je ; je ne me sçaurois plaindre que de la fortune. » L’embarras avec lequel je dis cela l’obligea de me presser de lui en dire davantage. « Eh quoi ! ajouta-t-elle, me cacherez-vous vos affaires, à moi, qui vous fais voir tout ce que j’ai dans le cœur ? Si cela étoit, je me plaindrois de vous.—Ah ! que vous êtes pressante ! lui répondis-je ; est-ce avoir de la discrétion que d’arracher le secret à son ami, et ne devriez-vous pas croire que je ne vous doive pas dire le mien, puisque je ne vous le dis pas en l’état où je suis avec vous, ou plutôt ne le devriez-vous pas deviner, Madame, puisque…—Ah ! n’achevez pas ! m’interrompit-elle : j’ai peur de vous entendre ; j’ai peur d’avoir sujet de me fâcher et de perdre l’estime que je fais de vous.—Non, non, Madame, lui dis-je : ne craignez rien ; je suis en l’état que vous ne voulez pas apprendre, et je ne laisse pas de faire mon devoir. Mais, puisque nous en sommes venus si avant, je m’en vais vous dire tout le reste. Aussitôt que je vous vis, Madame, je vous trouvai fort aimable, et, chaque fois que je vous voyois ensuite, vous me paroissiez plus belle que la dernière ; je ne sentois pourtant encore rien d’assez pressant dans ces commencemens pour m’obliger de vous chercher, mais j’étois fort aise quand je vous rencontrois. La première chose à quoi je m’aperçus que je vous aimois, Madame, ce fut au chagrin que me donnoit votre absence ; et comme j’étois sur le point de m’abandonner à ma passion et de songer aux moyens de vous la faire connoître, Darcy, la Feuillade et moi tirâmes