Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/346

Cette page n’a pas encore été corrigée

tuer, voyant le danger où il avoit exposé ma cousine, et je ne dormis pas une heure cette nuit-là. Sévigny, de son côté, ne la passa pas meilleure que moi ; et le lendemain, après de grands reproches qu’il fit à sa femme, il lui défendit de me voir. Elle me le manda, et qu’avec un peu de patience tout cela s’accommoderoit un jour.

Six mois après, Sévigny fut tué en duel par le chevalier d’Albret[1]. Sa femme parut inconsolable de sa mort. Les sujets de le haïr étant connus de tout le monde, on crut que sa douleur n’étoit que grimace. Pour moi, qui avois plus de familiarité avec elle que les autres, je n’attendis pas si long-temps qu’eux à lui parler de choses agréables, et bientôt après je lui parlai d’amour, mais sans façon et comme si je n’eusse jamais fait autre chose. Elle me fit une de ces gracieuses réponses d’oracle que les femmes font d’ordinaire dans les commencemens, que ma passion, qui étoit assez tranquille, me fit paroître peu favorable ; peut-être aussi l’étoit-elle, je n’en sçais rien. Que

  1. François Amanieu, seigneur d’Ambleville, tué lui-même en duel en 1672, cadet de Miossens, qui fut maréchal d’Albret.

    Il courtisoit madame de Gondran, maîtresse de Sévigné, et ne pouvoit souffrir de ne réussir pas. Un jour il apprend que Sévigné a dit à madame de Gondran que c’étoit un amoureux sans vigueur, un Candale, un Guiche ; il envoie Saucourt, un bon patron, demander des excuses. Sévigné nie avoir dit le mal, mais refuse de s’excuser. Le duel fut arrêté ainsi et eut lieu derrière le couvent de Picpus (Voy. Conrart, p. 86), le vendredi 3 février 1651 à midi ; Sévigné y trouva la mort, à vingt-sept ans.

    Si madame de Gondran ne prit pas des voiles de veuve, M. de Gondran, ami de Sévigné, le regretta innocemment.