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Comme j’étois son proche parent, j’avois un fort grand accès chez elle, et je voyois les chagrins que son mari lui donnoit tous les jours. Elle s’en plaignoit à moi bien souvent et me prioit de lui faire honte de mille attachemens ridicules qu’il avoit. Je la servis en cela quelque temps fort heureusement ; mais enfin le naturel de son mari l’emporta sur mes conseils. De propos délibéré je me mis dans la tête d’être amoureux d’elle, plus par la commodité de la conjoncture que par la force de mon inclination. Un jour donc que Sévigny m’avoit dit qu’il avoit passé la veille la plus agréable nuit du monde, non seulement pour lui, mais pour la dame avec qui il l’avoit passée : « Vous pouvez croire, ajouta-t-il, que ce n’est pas avec votre cousine : c’est avec Ninon[1].—Tant

  1. Tout encore a été dit sur cette femme. Amie de Molière, elle devina Voltaire ; elle eut de l’esprit autant que Madame Cornuel ; elle étoit réellement l’institutrice de tous les jeunes seigneurs de la cour. La Fare, juge d’un goût délicat, a dit : « Je n’ai point vu cette Ninon dans sa beauté ; mais à l’âge de cinquante ans, et même jusques audelà de soixante-dix, elle a eu des amans qui l’ont fort aimée, et les plus honnêtes gens pour amis. Jusqu’à quatre-vingt-sept elle fut recherchée encore par la meilleure compagnie de son temps. Elle est morte avec l’agrément de son esprit, qui étoit le meilleur et le plus aimable que j’aye connu en aucune femme. »

    Et les chansons, si souvent méchantes :

    On ne verra de cent lustres
    Ce que de notre temps nous a fait voir Ninon,
    Qui s’est mise, en dépit du…
    Au nombre des hommes illustres.

    Mettons deux portraits à côté l’un de l’autre : le premier de Somaize (t. 1, p. 176) : « Pour de la beauté, quoy que l’on soit assez instruit qu’elle en a ce qu’il en faut pour donner de l’amour, il faut pourtant avouer que son esprit est plus charmant que son visage, et que beaucoup échapperoient de ses mains s’ils ne faisoient que la voir ; et c’est cette aimable