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Madame de Sévigny est inégale jusqu’aux prunelles des yeux et jusqu’aux paupières ; elle a les yeux de différentes couleurs, et, les yeux étant les miroirs de l’âme, ces égaremens sont comme un avis que donne la nature à ceux qui l’approchent de ne pas faire un grand fondement sur son amitié.

Je ne sçais si c’est parceque ses bras ne sont pas beaux qu’elle ne les tient pas trop chers, ou qu’elle ne s’imagine pas faire une faveur, la chose étant si générale ; mais enfin les prend et les baise qui veut. Je pense que c’est assez pour lui persuader qu’il n’y a point de mal qu’elle croie qu’on n’y a point de plaisir. Il n’y a plus que l’usage qui la pourroit contraindre, mais elle ne balance pas à le choquer plutôt que les hommes, sçachant bien qu’ayant fait les modes, quand il leur plaira la bienséance ne sera plus renfermée dans des bornes si étroites.

Voilà, mes chers, le portrait de madame de Sévigny. Son bien, qui accommodoit fort le mien parceque c’étoit un parti de ma maison, obligea mon père à souhaiter que je l’épousasse ; mais, quoique je ne la connusse pas alors si bien qu’aujourd’hui, je ne répondois point au dessein de mon père : certaine manière étourdie dont je la voyais agir me la faisoit appréhender, et je la trouvois la plus jolie fille du monde pour être femme d’un autre. Ce sentiment-là m’aida fort à ne la point épouser ; mais, comme elle fut mariée un peu de temps après moi, j’en devins amoureux, et la plus forte raison qui m’obligea d’en faire ma maîtresse fut celle qui m’avoit empêché de souhaiter d’être son mari.