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de la duchesse à l’abbé. Celui-ci, qui aimoit presque autant se faire tuer que laisser sa maîtresse à la discrétion de son rival, comme elle étoit par cette lettre, se jeta dessus ; il en déchira la moitié, qu’il alla faire voir à la duchesse, lui disant que le maréchal avoit brûlé l’autre. Cependant le maréchal, en colère de l’entreprise de l’abbé, lui dit qu’il sortît promptement de chez lui, et que, si quelque considération ne le retenoit, il le feroit jeter par les fenêtres.

Quelque temps après, la duchesse, étant revenue à Paris, crut que, pour désabuser le public de mille particularités que le maréchal avoit dites d’elle, il falloit qu’elle fît voir à des gens de mérite et de vertu de quelle manière elle le traiteroit. Elle choisit pour cela la maison du marquis de Sourches, grand prévôt de France, auprès de qui et de sa femme elle vouloit particulièrement se justifier. Le rendez-vous étant pris avec le maréchal, celui-ci s’aperçut de son dessein. « Dieu te garde, ma pauvre enfant ! lui dit-il en l’abordant. Comme se portent mes petites fesses ? Sont-elles toujours bien maigres ? » On ne sçauroit comprendre l’état où fut la duchesse de ce discours ; ce lui fut un coup de massue sur la tête. Il ne laissa pas de lui venir en pensée de traiter le maréchal de fol et d’insolent ; mais elle crut qu’ayant débuté comme il avoit fait, il entreroit dans un détail le plus honteux du monde pour elle si elle le fâchoit tant soit peu. Le grand prévôt et sa femme se regardoient l’un l’autre, et, se tournant à la duchesse, lui trouvoient les yeux baissés. Véritablement elle ne changeoit pas de couleur ; mais eux, qui la connoissent, ne la croient pas