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Monsieur le Prince, en sortant de France, avoit témoigné, comme j’ai dit, fort peu de considération pour madame de Châtillon ; mais, ayant su le cas que les Espagnols en faisoient par la pension qu’ils lui avoient donnée, et le crédit qu’elle avoit à la cour de France par le moyen de l’abbé Foucquet, il s’étoit réchauffé pour elle, et cela étoit si violent qu’il lui écrivit des lettres les plus passionnées du monde, et, entre autres, on en intercepta celle-ci, écrite en chiffres.

LETTRE.

Quand tous vos agrémens ne m’obligeroient point à vous aimer, ma chère cousine, les peines que vous prenez pour moi, et les persécutions que vous souffrez pour être dans mes intérêts, et les hasards où cela vous expose, m’obligeront à vous aimer toute ma vie : jugez donc de tout ce que cela peut faire sur un cœur qui n’est ni insensible ni ingrat. Mais jugez aussi des alarmes où je suis sans cesse pour vous. L’exemple de Ricoux me fait trembler, et, quand je songe que ce que j’ai de plus cher au monde est entre les mains de mes ennemis, je suis dans des inquiétudes qui ne me donnent point de repos. Au nom de Dieu, ma pauvre chère, ne vous commettez plus comme vous faites ; j’aime mieux ne retourner jamais en France que d’être cause que vous ayez la moindre appréhension ; c’est à moi à m’exposer, et à mettre par la guerre mes affaires en état que l’on traite avec moi, et alors, ma chère cousine, vous pourrez m’aider de votre entremise ; et cependant, comme les événemens sont douteux à la guerre, j’ai un coup sûr pour passer