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APPENDICE. — N° X.

penser la suppression du r ; et enfin de kachati, on aura fait katchhati, par une dégradation encore, plus avancée. Si cette analyse est admise, la phrase sê sukaṭam katchhati signifiera « il gagne une bonne œuvre, il attire à soi le mérite d’une bonne œuvre. » Nous retrouverons plus bas, au paragraphe 5 de cette note, le même mot katchhati avec une variante curieuse empruntée à une autre partie des édits qui nous occupent ; quant à présent, je crois pouvoir m’en tenir à l’interprétation que je viens de proposer.

Dans le second paragraphe de cet édit, kayânam̃mêva est pour kayânam êva ; c’est par suite d’une habitude orthographique reconnue dans un grand nombre de dialectes indiens, qu’on ajoute un anusvâra devant une nasale labiale d’ailleurs étymologiquement nécessaire. Je suppose que dêkhati représente la forme sanscrite drĭçyati, si elle était usitée[1]. Ce changement du reste n’étonnera pas les lecteurs qui se sont occupés des dialectes hindis où le sanscrit drĭça devient dêkha[2]. Je crois que nômina doit être le pâli nôminâ, pour nô iminâ, « non par celui-ci ; » il n’y a de différence que l’abrègement de la voyelle finale ; abrègement qui résulte peut-être de la faute du graveur. Si l’on accorde que dêkhati signifie « il voit, » on concédera aussi que dêkhiyê peut bien être drĭçya, « devant être vu. » Je passe les autres mots dont le plus altéré est niṭuliya, où les Pandits de Prinsep ont bien reconnu le sanscrit nâichṭhurya. Ils n’ont pas été aussi heureux, je crois, pour le mot suivant : kâlananavakakam̃, qu’ils traduisent par « ces neuf fautes de diverses espèces. » Ce long mot est un composé de kâlana, sur lequel il ne peut exister aucune hésitation, car c’est le sanscrit kârana, « cause, » puis de navahakam̃, dont je ne puis faire quelque chose qu’en supposant l’omission de deux voyelles i et â, de cette manière, nivâhakam̃, d’où il résulterait que le mâgadhî nivâhaka correspond au pâli nibbâhaka et au sanscrit nirvâhaka. On peut se rappeler que nous avons déjà rencontré un dérivé analogue de la racine vah, dans mahâtkâvahâ. Cette analyse donne à notre composé le sens de « l’accomplissement de la cause, » ce que j’ai conservé dans ma traduction pour plus de littéralité, et ce qui se comprend d’ailleurs malgré la concision des termes. Le roi Piyadasi, dans cette curieuse partie de son édit, veut prémunir ses sujets contre la corruption du mal ; et pour cela il établit que le mal est difficile à reconnaître, parce que les hommes qui ont toujours les yeux ouverts pour voir leurs bonnes actions, les ont fermés sur les mauvaises. Eh bien, c’est une raison de plus pour s’efforcer de voir le mal ; en effet, ce ne sont pas les vices qui en découlent qui nous le signaleront. C’est ce qu’exprime le texte d’une manière assez pittoresque, quand il dit : « ils n’élèveront pas la voix contre l’accomplissement de leur cause, » c’est-à-dire contre l’action de leur cause, contre ce que fait leur cause qui est la corruption du mal, pour arriver à son effet qui est la production des vices eux-mêmes. Pour traduire « ils élèveront la voix contre, » je lis palibhâsayisam̃ti, avec un â long. On remarquera que cette pensée morale a plus d’une fois occupé le roi Piyadasi, car c’est dans un sens analogue qu’il faut entendre le commencement du cinquième édit de Dhauli et Girnar, où on lit à Dhauli, kayânê dukalê, « le bien est difficile à faire, » et plus bas : sukaram̃ hi pâpam̃, « le péché est facile à commettre.[3] » J’ajouterai que l’on pourrait encore rattacher

  1. Bollensen, Vikramôrvaçî, p. 427.
  2. Prem sâgar, p. 2, 4, et pass. éd. Eastwick.
  3. Journ. of the roy. as. Soc. of Great-Britain, t. XII, p. 182.