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APPENDICE. — N° X.

le redoublement ayant fini par faire corps avec la racine et en ayant allégé la voyelle. Il n’y a rien d’étonnant à trouver de telles permutations dans un dialecte aussi altéré que celui de nos inscriptions ; nous y voyons déjà un autre exemple de la substitution d’un ha à un dha primitif, dans le mot nigôha, pour nyagrôdha, que nous fournit ce passage : magésupi mé nigôhâni lôpâpitâni, « j’ai fait planter des Nyagrôdhas (ficus Indica) sur les « chemins mêmes[1]. »

La conjonction qui ouvre la phrase suivante, hêmêvâ, est d’un usage ordinaire dans ces inscriptions pour êvamêva ; mais je ne puis me tirer aussi facilement de am̃ta. Ce mot est-il pour yam̃tu, « qu’ils aillent, » par l’effet de la suppression de la semi-voyelle ya, dont je parlerai plus bas ? ou bien am̃ta est-il une orthographe fautive d’un mot comme le pâli antô, « en dedans, au milieu, » avec le sens de « y compris ? » On traduirait alors le commencement de la phrase, « de la même manière, y compris les grands ministres. » Enfin faudrait-il faire appel au mot hindi anta, qui, selon un vocabulaire Kharîbolî des mots du Prem sâgar publié à Calcutta, signifie « au moins (after all, at least)[2] ? » D’un autre côté, comme antu se présente sans désinence, on n’est pas absolument assuré que quelque lettre n’a pas été oubliée à la fin de la ligne. Dans cette dernière supposition, le pâli nous fournirait antamasô, « à plus forte raison, » qui serait ici bien à sa place ; cette lecture donnerait en effet un très-bon sens, « de la même manière aussi, à plus forte raison les grands ministres eux-mêmes. » Le mot vidhinê, qu’il faudrait peut-être lire vidhânê, me paraît répondre au sanscrit, vidhânam, « ordonnance, injonction ; » il doit signifier ici « l’action d’imposer des lois, » comme pâlanâ signifie « l’action de gouverner. » C’est encore un mot de formation analogue que sukhîyanâ ; mais nous le retrouverons bientôt avec une orthographe plus correcte[3], à en juger par sa fréquence, sukhîyanâ, « l’action de répandre le bonheur. » Reste gôti, où l’on ne fera pas difficulté de retrouver le sanscrit gupti, en passant par le pâli gutti ; le changement de la voyelle primitive u en ô a lieu ici exactement sous les mêmes conditions que dans le dialecte prâcrit[4].

Je passe à un troisième exemple du mot anyatra ou añatra qui me donnera l’occasion d’expliquer plusieurs expressions difficiles. Dans le dixième des édits de Piyadasi à Girnar, Dhauli et Kapur-di-gîri, édit très-remarquable où le roi déclare que la gloire et la renommée ont à ses yeux moins de prix que l’obéissance à la loi, et que c’est à faire fleurir cette loi qu’il met sa grandeur, je trouve l’expression añata, et à Kapur-di-giri, añatra, d’abord tout au commencement, puis à la fin dans un passage où sa véritable valeur est parfaitement reconnaissable. Voici les deux passages que je reproduis, sans les séparer et tels qu’ils se présentent dans l’inscription même dont ils forment la totalité ; j’avertis seulement que je me sers principalement ici de la copie de Westergaard, qui est beaucoup plus correcte que celle qui était à la disposition de Prinsep. Je prends cette copie même sur le fac-similé qui en a été donné par la Société asiatique de Bombay[5] :

  1. Prinsep, Interpret. etc. dans Journ. as. Soc. of Bengal, t. VI, 2e part. p. 600.
  2. Vocabulary Kharee bolee and english of the principal words occurring in the Prem sâgar, p. 1, col. 2.
  3. Ci-dessous, § 5.
  4. Lassen, Instit. ling. pracrit. p. 131 et 132.
  5. Journ. of the Bombay as. Soc. no v, avril 1843, à la fin du numéro et sans pagination.