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APPENDICE. — No VII.

c’est bala : enfin une dixième, « la sagesse ; » c’est djñâna[1]. Cette traduction aurait besoin de quelques explications, en ce qu’elle donne une interprétation approximative plutôt que littérale de ces quatre nouvelles pâramitâs ; quelques mots suffiront pour en déterminer la valeur avec plus de précision. Je ne dois pas oublier de dire que la liste népâlaise de M. Hodgson ne diffère des précédentes qu’en ce qu’elle place bala immédiatement après upâya.

Le premier de ces quatre termes, upâya, « le moyen, » se trouve dans le Lalita vistara, sous une forme beaucoup plus fréquemment employée par les textes ; c’est celle de upaya kâuçalya, « l’habileté dans l’emploi des moyens, » dont il est si souvent question dans le Lotus de la bonne loi. Voici à quel résultat conduit la possession de cette perfection, d’après le Lalita vistara : Yâthâdhimukta sattvêryâpatha sam̃darçanâya sarvabuddha dharmâvidhamanatâyâi sam̃vartatê. « Elle conduit à empêcher la dispersion d’aucune des lois d’un Buddha, à donner aux êtres, selon leurs facultés, le spectacle des positions décentes[2]. » Cette traduction littérale, que j’éclaircirai tout à l’heure par quelques détails, se retrouve à peu près chez les interprètes tibétains du Lalita vistara, mais avec un déplacement des termes et une variante qui en change totalement le sens. Voici la version française qu’en donne M. Foucaux : « La science des moyens qui, montrant au gré du désir la voie estimable des êtres, conduit à obtenir toutes les lois du Buddha[3]. » Il y a ici quelques points qui, avec la connaissance que nous avons actuellement du sanscrit buddhique, me paraissent difficiles à admettre. En premier lieu, yâthâdhimukta ne peut signifier « selon le désir ; » en admettant qu’adhimukti veuille dire « désir, » ce que je ne contesterais pas dans certains cas, il est clair que pour avoir le sens de « selon le désir, » il faudrait que le texte eût écrit yathâdhimakti ; ce serait alors un mot indéclinable, un adverbe, qui serait en dehors du composé. L’interprète tibétain avait peut-être cette leçon sous les yeux : ou bien il n’aura pas fait attention que le terme de yathâdhimakti, avec sa première voyelle longue, est un adjectif se rapportant au substantif suivant sattva, « être, » et signifiant, « selon les facultés qu’il a ou qu’ils ont ; » c’est un point qui ne me semble pas douteux. Les deux premiers mots de notre terme composé signifient donc, « les êtres selon les facultés qu’ils ont. » Les remarques qui suivent paraîtront peut-être moins concluantes ; cependant je ne les en crois pas moins fondées. Ce n’est pas de « la voie estimable des êtres » qu’il doit être ici question dans le mot sattvêryâpatha : car premièrement sattva est subordonné à sanidarçanâya, « pour faire voir aux êtres ; » ensuite, iryâpatha ne signifie pas « la voie estimable, » car alors on ne distinguerait plus ce terme de mârga, « la voie, » à proprement parler. On sait qu’iryâpatha désigne collectivement les quatre postures décentes que doit toujours garder un Religieux et à plus forte raison un Buddha ; c’est un point que je crois avoir définitivement établi ailleurs. Le premier terme composé faisant partie de la définition de l’upâya doit donc se traduire : « pour l’action de montrer aux êtres, selon leurs facultés, les postures décentes. » Je n’insiste pas sur la fin de la version empruntée aux Tibétains qui n’est que très-légèrement inexacte.

  1. Mém. de l’Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 14.
  2. Lalita vistara, f. 23 a de mon manuscrit A.
  3. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 45.